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Prix Georges Villain d'histoire de l'art dentaire

Pénicilline et Seconde Guerre mondiale

par
Xavier Riaud

 

D’une moisissure à la découverte du penicillium…

Dans la Chine ancienne, les panaris sont traités avec des peaux de fruits moisis. Au Moyen Orient, les Arabes soignent leurs chevaux avec des moisissures. En Grèce, les blessures sont guéries avec des moisissures de pain. En 1640, dans son Book on pharmacology, John Parkington, apothicaire anglais, formule l’idée de traitement par les moisissures. Toujours en Angleterre, en 1870, Sir John Scott Burdon-Sanderson, qui officie au St. Mary’s Hospital, signale que ses bouillons de culture recouverts de moisissure sont dénués de bactéries. En 1871, Joseph Lister, un des pères de l’asepsie moderne, constate que des urines avec de la moisissure ne facilitent pas le développement des bactéries. De plus, en appliquant du penicillium sur une infirmière blessée, il parvient à la guérir. Enfin, il réussit de même à expliciter l’action antibactérienne sur les tissus humains d’une substance qu’il dénomme penicillium glaucum. En 1874, William Roberts affirme que ses cultures de penicillium glaucum ne présentent pas de bactéries. Devant la Royal Society, en 1875, John Tyndall démontre son action antibactérienne. En 1877, en France, Louis Pasteur et Louis François Joubert sont convaincus que leurs cultures du bacille du charbon sont inhibées lorsqu’elles sont contaminées par des moisissures. En 1895, Ernest Duchesne, de l’Ecole du service de santé militaire de Lyon, découvre les propriétés du penicillium glaucum sur des porcs atteints de typhoïde qu’il soigne avec succès. Il publie ses résultats dans sa thèse en 1897. Malgré tout, il est ignoré par l’Institut Pasteur. Il ne se limite qu’à affirmer que les moisissures protègent les animaux. En 1920, en Belgique, André Gratia et Sara Dath constatent une contamination d’une culture de Staphylococcus aureus aussitôt inhibée par une moisissure qu’ils reconnaissent comme étant du genre penicillium. Ils publient leur résultat, mais personne ne s’en préoccupe alors. En 1923, Clodomiro Picado Twight, costaricien travaillant à l’Institut Pasteur, observe l’effet antibiotique du penicillium (http://fr.wikipedia.org (b), 2012).


Alexander Fleming (1881-1955)

Sir Alexander Fleming est un biologiste et un pharmacologiste britannique qui a publié de nombreux articles en rapport avec la bactériologie, l’immunologie et la chimiothérapie. Il découvre en 1922, l’enzyme lysozyme responsable d’un effet bactériolytique. Par hasard, de retour de vacances, en 1928, il découvre, au St. Mary’s Hospital où il travaille, une de ses cultures recouverte de moisissures. Il dénomme cette substance antibiotique, penicillium notatum. Il publie ses résultats en 1929. Cette trouvaille lui vaut de recevoir et de partager le prix Nobel de physiologie et de médecine avec Howard W. Florey et Ernst B. Chain en 1945 (http://fr.wikipedia.org (a), 2012).


Alexander Fleming (1881-1955) - Histoire de la médecine par Xavier Riaud

Alexander Fleming.


1928

3 septembre 1928, une date clé dans l’histoire de la médecine. Le Dr Alexander Fleming, de retour de vacances, retourne au travail dans son laboratoire du St. Mary’s Hopital, à Londres. Il se replonge aussitôt dans l’observation de ses boîtes de Pétri où il a laissé des cultures de staphylocoques proliférées pendant son absence, afin de pourvoir regarder l'effet antibactérien du lysozyme, une enzyme présente dans les larmes et la salive. Sa surprise est de taille. Ses boîtes sont remplies de moisissures d'un blanc verdâtre cotonneux. Elles ont été contaminées par les souches d'un champignon microscopique, le penicillium notatum. Son voisin de paillasse, un jeune mycologue irlandais, Charles J. Latouche, travaille sur cette moisissure, qui provoque des allergies chez les patients asthmatiques (Aarab H., Bentbib H. & Ismaili S., 2010-2011 ; Veille S., 2012).
Sur le point de nettoyer et de décontaminer ses boîtes, Fleming constate qu'autour des colonies de moisissure, il y a une zone circulaire où le staphylocoque n'a pas proliféré. Il soupçonne dès lors l’existence d’une substance sécrétée par le champignon qui en serait la cause et décide de la dénommer : pénicilline. En 1929, dans le British Journal of Experimental Pathology, il publie ses résultats, ce qui constitue alors le premier compte rendu sur l'effet de cette substance. Il est convaincu alors que l’action de ce produit se fait de la même manière que celle du lysozyme (Faivre Y., Sidaner F. & Tesson V., sans date).
« Au cours du travail avec différents staphylocoques, un certain nombre de cultures furent mises de côté et examinées de temps en temps. Lors de l'examen, ces cultures étaient exposées à l'air et ensemencées par différents micro-organismes. On remarqua qu'autour d'une grande colonie de champignons polluants, les colonies de staphylocoques étaient devenues transparentes et sans aucun doute en voie de dissolution» « La pénicilline utilisée en doses massives n’est ni toxique, ni irritante (…) Elle peut constituer, par applications ou en injections, un antiseptique efficace contre les microbes (http://fr.wikipedia.org (b), 2012). »
Ses plus proches collaborateurs, Craddock et Ridley, tentent par la suite d'isoler et de purifier la pénicilline. Sans aucun succès. Peu à peu, devant le peu d’intérêt que suscite sa découverte, Fleming se détourne des possibles applications thérapeutiques de sa pénicilline. Grâce à elle, il fabrique quand même des milieux sélectifs. Il parvient tout de même à déterminer qu’elle ne nuit pas aux animaux. Il suggère de l'utiliser comme antiseptique topique sur la peau, mais préconise aussi son usage en injections (Veille S., 2012).


Florey (1898-1968) et Chain (1906-1979)

En 1933, Ernst Chain, diplômé en chimie, juif de surcroît, quitte l’Allemagne pour s’installer en Angleterre. En 1935 (1936 selon certains auteurs), il accepte un poste à l'Université d’Oxford comme assistant en pathologie. En 1938 (1939, selon certains auteurs), travaillant avec Ernst Boris Chain et Norman Heatley, il lit un article d’Alexander Fleming sur les effets anti-bactériens de la moisissure penicillium notatum. Dès lors, son équipe cherche tous les moyens de produire cette moisissure à grande échelle et d’extraire le principe actif de la pénicilline. Continuant leurs recherches Chain et Florey découvrent l'action thérapeutique de la pénicilline et sa composition chimique. C'est Ernst Chain qui a compris comment isoler la pénicilline et la concentrer (http://fr.wikipedia.org (c), 2012). Ce n’est qu’en 1940 qu’ils réussirent à en produire 100 milligrammes. Le 25 mai de la même année, Florey teste son remède sur 4 souris après leurs avoir injectées une dose mortelle de streptocoques. Pour les deux premières, il leur injecte une dose de pénicilline et, pour les deux dernières, il décide de leur faire plusieurs injections. Dix heures plus tard, les deux dernières survivent ainsi que l’une des deux qui n’avait reçu qu’une injection. Florey teste aussi la pénicilline sur une demi-douzaine de patients dont l’état a été temporairement amélioré. Chain et Florey décident alors de publier ses résultats dans The Lancet, le 24 août 1940 (Aarab H., Bentbib H. & Ismaili S., 2010-2011 ; Faivre Y., Sidaner F. & Tesson V., sans date). Mais, l’Angleterre menace d’être envahie par les allemands, leur article n’intéresse donc pas le public. Ne pouvant compter sur l’aide des pouvoirs publics et des industriels, leur principal problème devient de produire suffisamment de pénicilline (Aarab H., Bentbib H. & Ismaili S., 2010-2011 ; Faivre Y., Sidaner F. & Tesson V., sans date). Il devient évident que la Grande-Bretagne en guerre n'est pas capable d'amener jusqu'à un stade industriel et commercial le processus complexe de culture de la pénicilline et de sa séparation (Bud, 1997).


Howard W. Florey - Histoire de la médecine
Howard W. Florey.

Ernst B. Chain - Histoire de la medecine
Ernst B. Chain.


Nécessité de guerre

En période de guerre, les soldats et les civils meurent d’infections par milliers. Des maladies, qui ont disparu, ressurgissent du fait des diverses pénuries alimentaires et de l’appauvrissement générés par les bombardements, et les conflits, suscitant des problèmes majeurs d’hygiène. Cela engendre une diminution des résistances des organismes aux infections. Ainsi, des épidémies de tuberculose dès 1942, de syphilis, etc., qui ne connaissent à l’époque aucun remède, sont-elles apparues. De même, les fausses couches augmentent-elles (Faivre Y., Sidaner F. & Tesson V., sans date).
Aussi, bien informé, Churchill comprend très vite tout l’intérêt d’une substance comme la pénicilline. Il décide d’en réquisitionner tous les stocks sur le sol anglais et de les consacrer à l’effort de guerre (Veille, 2012).


Florey part aux USA

Face à ces difficultés, Florey décide de partir aux Etats-Unis et entre en contact avec Peoria qui est une usine chimique spécialisée dans l’épuration biologique des eaux usées. Un jour, une femme apporte à l’usine, un melon comportant sur sa surface une moisissure inhabituelle. Les chercheurs analysent donc cette moisissure, appelée pénicillium chrysogenum et découvrent qu’elle a la capacité de produire 200 fois plus de pénicilline que la pénicillium notatum découverte par Alexander Fleming. Enfin, la pénicilline peut être produite industriellement. Les laboratoires américains Merck, Pfizer et Squibb décident de s’occuper de sa production. Cependant, il paraît impossible de traiter tous les malades et blessés sachant que 80% de la dose injectée disparaît dans les urines en 3 ou 4 heures (Aarab H., Bentbib H. & Ismaili S., 2010-2011 ; Faivre Y., Sidaner F. & Tesson V., sans date). Des suggestions sont faites par différents chercheurs pour remédier au problème.
La pénicilline est entrevue très rapidement comme un remède miracle. Elle est tout d’abord utilisée sur le front par l’U.S. Army pour la lutte contre la gangrène et les maladies vénériennes, mais son emploi s’étend aux populations civiles. En 1944, le général Billotte, responsable du service de santé, crée une commission entièrement consacrée à la pénicilline. Ce produit frappe tellement les imaginations par les résultats prodigieux obtenus que son utilisation se généralise très vite au Royaume-Uni, puis à la France. Toutefois, ce médicament reste principalement rattaché aux Alliés. En effet, les Allemands échouent dans la production en masse de la pénicilline (Aarab H., Bentbib H. & Ismaili S., 2010-2011 ; Faivre Y., Sidaner F. & Tesson V., sans date). Des escadrons de transporteurs lourds sont envoyés, notamment par la Croix-Rouge, dans différents pays afin d’emmener des quantités de pénicilline allant jusqu’à 2 500 kg. Cette forte distribution demeure insuffisante et inefficace pour lutter contre les innombrables ravages causés par la guerre et toutes les populations ne parviennent pas à y accéder. Une contrebande de pénicilline voit alors le jour, qui est dérobée dans les hôpitaux sous contrôle militaire, puis diluée et revendue. Cette pratique malhonnête a provoqué un aggravement de l'état de santé de certaines personnes, dont des enfants, qui se sont vues mal soignées, ou insuffisamment, causant ainsi leur mort (Aarab H., Bentbib H. & Ismaili S., 2010-2011 ; Faivre Y., Sidaner F. & Tesson V., sans date).

Un film tiré d’un livre d’Orson Welles intitulé The Third Man révèle les travers de cette pratique honteuse.


En Angleterre

Pendant ce temps, en Europe, le moral des Britanniques est au plus bas. Presque toute l'Europe est tombée sous la domination allemande. Les bonnes nouvelles sont rares, donc précieuses. L'annonce des premiers succès de la pénicilline tombe à point nommé (Bud, 1997). En août 1942, les journaux s'emparent du médicament miracle. Le patron de Fleming au St. Mary’s Hospital envoie une lettre au London Times. Il y affirme que ce triomphe est celui de Fleming qui devient instantanément un héros national. L'influence de Lord Moran, médecin-chef du St. Mary's Hospital et médecin personnel de Winston Churchill est prépondérante. Doit-on voir ici une volonté de mettre en avant l’homme, le service et l’hôpital, voire de s’accaparer une découverte ? C’est probable. Pourtant, tout se passe à Oxford, où les travaux sont dirigés par Florey et demandent la participation d'une équipe très conséquente (pathologistes, biochimistes, chimistes, bactériologistes, etc.). Fleming, quant à lui, ne participe plus à aucune recherche sur la pénicilline (Bud, 1997).
Ainsi, grâce au soutien indéfectible de Moran, la renommée du chercheur écossais ne cesse de s’accroître. La presse adore ce héros humble qui admet qu’effectivement il a découvert la pénicilline. Toutefois, il n'oublie pas de rappeler le travail fabuleux de développement effectué par le groupe de Florey et de Chain. Aux Etats-Unis, l'opinion publique est tenue informée des succès des entreprises américaines dans la production de masse du médicament. Elle entend bientôt parler d’Alexander Fleming, dont les recherches pour beaucoup liées au hasard, quinze ans plus tôt, ont jeté les bases du triomphe américain (Bud, 1997).
Pendant que les journaux célèbrent Fleming, l'équipe d'Oxford, toute entière accaparée à ses investigations, en étroite collaboration avec les Américains, s'acharne à résoudre au plus vite tous les problèmes techniques. Des deux côtés d'un océan Atlantique placé sous le contrôle des sous-marins allemands, les chercheurs communiquent grâce aux télégrammes et à la valise diplomatique. Leurs efforts conjoints portent leurs fruits. En juin 1944, les Alliés disposent de pénicilline en quantité suffisante pour les troupes du débarquement (Bud, 1997).
La situation est extrême. Les morts et les blessés affluent du monde entier. Les troupes allemandes commencent à être débordés sur tous les fronts. Les débarquements se succèdent. Dans cette urgence, Florey et Chain n'ont pas le temps de communiquer à la presse. Ils se rendent compte malgré tout qu'ils perdent une guerre de propagande sur deux terrains essentiels : aux Etats-Unis tout d’abord où le public est persuadé que les scientifiques locaux ont fait tout le travail et en Angleterre ensuite où Fleming est déifié. Les firmes britanniques sont agacées aussi, car elles produisent des quantités de pénicilline nettement inférieures à celles fabriquées par les Américains. « Le triomphe de la pénicilline franchit une nouvelle étape au début de l'année 1944. La firme pharmaceutique ICI décide en effet de produire à grands frais un film qui a pour ambition d'expliquer au public américain et britannique la véritable histoire de la découverte du médicament. Fleming, Florey et Chain y rejouent de façon apparemment précise leurs découvertes et ces reconstitutions sont entrecoupées de séquences d'actualités montrant la fabrication de la pénicilline dans une usine de ICI (Bud, 1997). »
La guerre prend fin le 8 mai 1945. La même année, le 10 décembre, Florey, Chain et Fleming reçoivent le prix Nobel de physiologie ou de médecine pour leur découverte extraordinaire. Pourtant, grâce à une promotion sans cesse renouvelée, la découverte de la pénicilline, dont chacun de nous connaît l’usage au quotidien par des milliers de professionnels de santé, reste encore de nos jours associée injustement au seul nom de Fleming. Une chose demeure certaine cependant, c’est que la Seconde Guerre mondiale, tout du moins les circonstances extrêmes rencontrées pendant ce conflit, ont joué un rôle fondamental dans la découverte et la production de ce médicament.


Références bibliographiques :

Aarab H., Bentbib H. & Ismaili S., « Découverte des effets de la pénicilline: une révolution médica- le », in tperesistpenicilline.doomby.com, 2010-2011, pp. 1-6.

Bud R., « Les enjeux de la découverte de la pénicilline », in La Recherche, décembre 1997, n° 304, pp. 76-79.

Faivre Y., Sidaner F. & Tesson V., « Développement et généralisation de la pénicilline pendant la Seconde Guerre mondiale », in tpegroupe23.weebly.com/utilisation.html, sans date.

http://fr.wikipedia.org (a), Alexander Fleming, 2012, pp. 1-8.

http://fr.wikipedia.org (b), Découverte de la pénicilline, 2012, pp. 1-6.

http://fr.wikipedia.org (c), Howard Walter Florey, 2012, pp. 1-3.

Veille S., « La découverte de la pénicilline », in Historia, Septembre 2012, n° 789, pp. 62-67.


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