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Prix Georges Villain d'histoire de l'art dentaire

Le Polygal 10 et le camp de concentration de Dachau

Par
Xavier Riaud

A Dachau, le Dr Rascher, médecin, récupère à son profit l’invention d’un médicament anticoagulant à base de pectine, un polysaccharide complexe, mis au point par un demi-juif, Robert Feix. Mais, d’application topique, il n’entre en rien dans les réactions de coagulation en cascade de l’organisme. De plus, ingéré par voie orale, il ne passe pas dans le sang. Il le commercialise sous le nom de Polygal 10 et procède aux essais cliniques de ce médicament qui se présente sous forme de comprimés, tout d’abord au bloc chirurgical et au cabinet dentaire de Dachau. Des expériences classiques de laboratoire sur les temps de saignement et de coagulation, complétées par des opérations réelles, sont effectuées. Ensuite, voulant pousser plus loin ses recherches, il souhaite le tester en situation de combat en provoquant lui-même des blessures par balles sur des détenus. Rascher publie ses premiers résultats concernant ce médicament en 1944, dans le Muencher Medizinische Wochenschrift. Devant les succès obtenus par le Polygal, met en place une manufacture pour le produire industriellement où il emploie, pour cela, des détenus du camp. C’est son oncle, médecin lui aussi, qui donne l’alarme en découvrant par hasard un document sur le bureau de son neveu « ayant trait à l’exécution de 4 personnes afin d’expérimenter la préparation hémostatique appelée Polygal 10 (Bayle, 1950). »


Sigmund Rascher naît le 12 février 1909 à Munich. Avec l’arrivée de Hitler au pouvoir, il entre dans l’armée de l’air où il devient médecin-capitaine. Il est membre de la SS et aussi du Parti nazi. En 1939, il fait arrêter son père par la Gestapo. En 1939, il rencontre sa future femme Nini Diehls qui a 45 ans. Le Reichsführer SS Himmler est un grand ami de Nini. Il se prend aussitôt de sympathie pour le couple. Le Dr Rascher brigue une chaire de professeur. Prêt à tout pour plaire à Heinrich Himmler, le chef de la SS, et aussi pour éviter le front russe, il n’a aucun scrupule dans ses expérimentations, et n’hésite jamais à provoquer la mort de ses cobayes pour satisfaire ses ambitions. Ses expériences commencent le 22 février 1942, à Dachau. Elles s’intéressent aux conditions extrêmes que rencontrent parfois les aviateurs allemands. Les premières concernent les pressions à hautes altitudes. Puis, viennent celles sur le réchauffement des corps après un séjour en mer à très basses températures (août 1942). En mai 1943, Robert Feix, détenu juif à Dachau, met au point son médicament hémostatique qui deviendra le Polygal 10. Sigmund Rascher arrête tous ses autres travaux pour ne plus se consacrer qu’à cette découverte.

Pour plaire à Himmler et bénéficier ainsi de son soutien, il n’hésite pas non plus à mentir sur sa descendance qui provient des relations adultérines de sa bonne. Il ne peut pas avoir d’enfant avec sa femme. Découvrant la supercherie, le Reichsführer SS Himmler ne lui pardonne pas son mensonge. Rascher est arrêté en août 1944 et est exécuté par la SS à Dachau, le 26 avril 1945. Sa femme est tuée avec lui (Aziz, 1975).


Histoire de la médecine par Xavier Riaud
Dr Sigmund Rascher.


Ce médicament fera évidemment l’objet de nombreuses discussions et de nombreux récits circonstanciés, au cours du procès des médecins nazis de Nuremberg qui débute le 9 décembre 1946, mais, son utilité n’étant pas reconnue, il ne sera pas commercialisé et disparaîtra. Lors du procès des médecins nazis à Nuremberg, les expériences menées par Rascher à Dachau ont été qualifiées « d’inhumaines et de criminelles ».

Histoire de la médecine par Xavier Riaud


N°611

Secret

Dr. Med. Rascher

SS-Hauptsturmführer

Ahnenerbe

A l’attention du SS-Standartenführer Sievers

Waischenfeld (Franconie supérieure)

Très honoré Standartenführer!

Je vous envoie en annexe deux exemplaires du mémoire « Expériences avec un nouvel hémostatique en comprimés pour administration orale : Polygal 10 ». Je vous prie d’en prendre connaissance et de donner les ordres pour la suite. Comme déjà évoqué à Munich, la production de la préparation Polygal 10 serait tout à fait possible dans une usine près de Bregenz, quelques étapes de la fabrication devant cependant être effectuées dans d’autres entreprises déjà existantes. Afin d’installer l’entreprise sur des bases viables, il serait naturellement nécessaire que le titulaire du brevet, M. Feix, s’occupe personnellement des possibilités de fabrication à Bregenz. La libération de Feix en serait la condition sine qua non. Je vous serais reconnaissant s’il vous était possible de vous mettre à l’occasion en contact à ce sujet avec le SA-Gruppenführer Pr. Dr. Blome, car la condition à une libération éventuelle est bien entendu le rétablissement du statut de demi aryen possédé auparavant.

Le Pr. Dr. Blome m’a donné sur ce sujet de très gros espoirs. La libération de Feix ne serait possible que si le Reichsführer SS, à travers les résultats de notre travail, pouvait se faire une autre image de la personne de Feix, différente de celle qui lui a été tracée par des gens intéressés par l’extermination de Feix. L’image que les enquêtes de la Gestapo sur Feix ont donnée est d’autre part, autant que je sache, tout à fait favorable. Seulement je ne crois pas que ce compte-rendu ait été présenté au Reichsführer SS.

Avec mes plus respectueuses salutations, et

Heil Hitler !

Votre très dévoué, S. Rascher (CDJC, 2002 - 2003, doc. CXXXI-3).
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Le Reichsführer SS

Etat-major personnel

Tgb.-Nr

Bra/H Poste de commandement de campagne

Le 29 novembre 1943

Au SS-Standartenführer Sievers

Waischenfeld/Franconie supérieure Nr 132

Cher camarade Sievers !

Dans l’affaire du Polygal 10, les choses ne se sont pas développées comme vous et le SS-Hauptsturmführer Dr. Rascher l’aviez escomptées.

Le Reichsführer SS a discuté avec le SS-Gruppenführer Professeur Docteur Gebhardt. Il s’est laissé convaincre que, pour différentes raisons, il est encore nécessaire d’effectuer des expériences approfondies à Hohenlychen, ce qui doit être auparavant discuté avec le SS-Hauptsturmführer Dr. Rascher par le médecin responsable à Hohenlychen ou avec le SS-Gruppenführer Pr. Dr. Gebhardt lui-même. Je vais écrire une courte lettre au SS-Hauptsturmführer Dr. Rascher à ce sujet et le prier de rester froidement objectif et de ne pas s’énerver parce que tout ne va pas aussi vite que ce qu’il s’était imaginé au départ.

D’autre part, le SS-Hauptsturmführer Dr. Rascher va avoir la possibilité d’entrer en relation avec un spécialiste compétent à Berlin, le Pr. Seitz, je crois, afin de parler de cette problématique et éventuellement d’expériences à venir.

Heil Hitler !

R. Brandt

SS-Oberturmführer (CDJC, 2002 - 2003, doc. CXXXI-4).
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(CDJC, 2002 - 2003, doc. CXXXI-17).


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Actuellement Berlin, le 01.02.1944


Le Reichsführer SS

Etat-major personnel

Service A

Institut pour la recherche militaire

Dachau 3k

A Monsieur

Dr Graue

Directeur du poste d’économie de guerre au conseil de recherche du Reich

Berlin-Steglitz

Cher Monsieur le Dr Graue :

En référence à notre entretien d’aujourd’hui, je me permets de vous apporter en quelques mots des réponses à vos questions sur le Polygal.

1/ Les éléments de base sont des morceaux de betteraves sucrières épuisés ou de la pectine de pomme ainsi que de la dextrose (Dextropur)

2/ Fonction du Polygal. Médicament en comprimé destiné à l’hémostase, en particulier utilisable comme hémostatique prophylactique. Très important pour le personnel des avions, d’entreprises d’unités de choc, etc…

3/ Les avantages, que ne présentent pas les autres hémostatiques, sont d’être :

. sous forme de comprimés (des ampoules fragiles sont inutiles)

. de la plus simple utilisation : laisser fondre dans la bouche et avaler lentement.

. d’une durée d’action de 4 à 6 heures.

. insensibilité du médicament quant aux différences de température.

4/ Le médicament n’est pas du tout toxique et peut être pris sans restriction, sans causer de dommage (aucun danger de thrombose ou d’embolie).

5/ Le prix du médicament est, en plus grande quantité, moins élevé que celui des autres hémostatiques se trouvant sur le marché, de telle sorte que le prix n’entre pas en ligne de compte pour l’utilisation pratique.

Meilleures salutations

Heil Hitler !

R (CDJC, 2002 - 2003, doc. CXXXI-4).

Histoire de la médecine par Xavier Riaud


Duplicata

Le Reichsführer SS Berlin W15, le 17.02.1944

Le Médecin du Reich de la SS et de la Police Knesebeckstrasse 50/51

Az. 189/XVI/44

Objet : votre article dans le numéro 3-4 du magazine hebdomadaire de médecine de Munich du 28.01.1944

Au SS-Hauptsturmführer Dr. Rascher

Dachau/Obb.

Dans le magazine médical hebdomadaire de Munich, numéro 3-4 du 28.1.1944 se trouve un article des docteurs Rascher et Häferkamp, traitant du Polygal 10, un hémostatique par voie orale.

L’adresse qui est donnée est Dachau 3k et on parle dans l’article de sujets d’expérience. La publication de travaux scientifiques est soumise à la délivrance d’une autorisation d’impression donnée par le service supérieur compétent (pour les médecins SS, le Médecin du Reich de la SS et de la Police) ainsi que par le commandement supérieur de la Wehrmacht.

Ce devoir de censure est également connu des directions de rédaction des magazines spécialisés.

Vous êtes prié d’expliquer pourquoi vous n’avez pas sollicité l’autorisation obligatoire de publication.

Heil Hitler !

Signé : Grawitz (CDJC, 2002 - 2003, document CXXXI-5).

Histoire de la médecine par Xavier Riaud


Le chef de l’office SS de l’économie et de l’administration

Berlin Lichterfelde-Ouest

Au médein d’Etat-major 001533 16 février 1944

Dr Sigmund Rascher acte Z...

Dachau 3k

Cher Rascher,

Dans le magazine médical hebdomadaire de Munich du 28.01.1944, vous avez publié un article sur le Polygal 10.

Je considère nécessaire que lors de prochaines publications, vous évitiez absolument toute mention qui permettrait à des initiés (il faut toujours compter qu’il y en ait) de reconnaître qu’il s’agit d’expériences faites sur des détenus.

Dans l’article mentionné ci-dessus, ceci est possible à plusieurs endroits sans problèmes. Surtout, vous n’avez en aucun cas à nommer « Dachau 3k » comme adresse de l’auteur.

Heil Hitler !

Signé : SS-Obergruppenführer et Général de la Waffen-SS Oswald Pohl

Copies de ce document envoyées à :

1/ SS-Obersturmbannführer Dr Brandt personnellement Etat-major RF d.

2/ SS-Standartenführer Sievers Ahnenerbe-Berlin

Copie certifiée conforme (CDJC, 2002 - 2003, document CXXXI-6).

Histoire de la médecine par Xavier Riaud


Le Reichsführer SS

Etat-major personnel (13a) Waischenfeld/Ofr., le 25.04.1944

Service A Nr 135 Tel Nr 2

Institut de recherche militaire Tgb. Nr G/P/19 S2/He

Au chef de l’office central SS de l’économie et de l’administration, SS-Obergruppenführer et Général des Waffen-SS Pohl,

Berlin-Lichterfelde-Ouest

Objet : production et fabrication de l’hémostatique Polygal

Cher Obergruppenführer !

Grâce aux décisions favorables, prises il y a quelques jours sur la mise à disposition de pièces de travail et de machines de productions, nous sommes déjà à présent en mesure de commencer la production de l’hémostatique Polygal avec les moyens les plus réduits, de telle sorte que des quantités nécessaires à la grande expérience prévue peuvent être mises à disposition.

Après que la construction de l’usine de fabrication ait fait des progrès considérables par l’entremise d’un kommando de détenus, quelques artisans dont on a un besoin urgent afin de pouvoir commencer le travail, sont encore nécessaires pour les ateliers.

Il s’agit dans le détail, des détenus de Dachau suivants :

1- Gruendel, Rudolf, N° 37722, né le 4.2.10, tourneur

2- Egem, Adolf, N° 311, né le 31.07.07, mécanicien

3- Antkowiak, Marian, N° 11962, né le 12.09.21, mouleur

Je vous serais reconnaissant, Obergruppenführer, si vous donniez l’ordre de mettre ces détenus à disposition pour l’objectif mentionné ci-dessus.

Heil Hitler !

Sievers

SS-Standartenführer (CDJC, 2002 – 2003, document CXXXI-17).

Histoire de la médecine par Xavier Riaud

 

Histoire de la médecine par Xavier Riaud
(CDJC, 2002 - 2003, document CXXXI-17).

 


Références bibliographiques:

Aziz Philippe, Les médecins de la mort, Famot (éd.), tome 3, Genève, 1975, pp. 23-77.

Bayle François, Croix gammée contre Caducée, Imprimerie Nationale, Neustadt (Palatinat), 1950, pp. 1102-1107.

Centre de Documentation Juive contemporaine (CDJC), Paris, 2002 - 2003, documents CXXXI-3, CXXXI-4, CXXXI-5, CXXXI-6 et CXXXI-17.


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