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L'histoire de l'odontologie

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Prix Georges Villain d'histoire de l'art dentaire

En quoi le fait de connaître l'histoire de l'odontologie peut nous
permettre d'améliorer notre pratique ?

Par
Xavier Riaud

Xavier Riaud - dentiste -  L'histoire de l’odontologie peut nous permettre d’améliorer notre pratique ?

A la fin de mes études, j’ai voulu faire une thèse d’exercice différente des caciques usuellement présentés. Intitulée « Pathologie bucco-dentaire dans les camps de l’Allemagne nazie  », elle m’a amené à contacter de nombreux déportés. Outre la vocation de soigner les gens que j’ai découverte à la rencontre de leur histoire, j’ai aussi appris l’humilité et la dévotion qui doivent animer toute personne soignante. La science médicale n’est pas une science exacte. Le jour de ma soutenance, le 20 mai 1997, un déporté a fait 300 km pour y assister, avec un sac de perfusion dans le bras. Bien que jeune docteur, je me suis senti très petit face à cet homme. J’ai compris alors que la vie peut briser tant de destins, suite à une catastrophe, un accident ou un conflit. Tout peut s’arrêter en un instant. Art Spiegelman, Prix Pulitzer en 1992, n’affirme-t-il pas d’ailleurs : « L’homme n’est qu’une goutte d’écume dans le flot de l’éternité ».
A mon sens, ne pas connaître l’histoire de sa profession, c’est accepter l’idée de rester orphelin de sa science. En effet, comment apprécier à sa juste valeur les technologies les plus pointues sans savoir ce qui a conduit à les mettre en place, ni ceux qui les ont induites ? Comment pouvoir réactualiser une technique tombée en désuétude si aucune référence au passé n’est avancée ? Comment honorer la mémoire d’un bâtisseur ou d’un inventeur si la connaissance de sa vie demeure une nébuleuse ? Combien de patients ont pu être rassurés au cours d’un acte banal ou traumatisant par l’énoncé d’éléments historiques trop souvent méconnus ? J’ai pu mesurer la valeur de cet adage en racontant à des patients cette anecdote parmi d’autres. En 1610, Richelieu, excédé de voir ses convives se curer les dents à longueur de repas, avec leurs dagues, a ordonné que tous les poignards du palais soient émoussés. Le couteau de table à bout rond venait de voir le jour. Ainsi, j’ai pu calmer leur anxiété, j’ai pu les distraire en éveillant leur curiosité et j’ai pu établir un rapport humain entre eux et moi, qui dépasse la simple relation patient-praticien, rendant plus facile le soin au final. Un peu plus d’humanisme, un peu moins de médecine comptable, pour une relation améliorée et plus saine avec nos malades.
En se référant au serment d’Hippocrate, l’histoire de l’art dentaire permet aussi de définir, sur un plan aseptique ou éthique tout du moins, des limites à ne pas franchir. Ainsi, nous nous lavons tous les mains avant de passer une paire de gants. Mais, qui a inventé ce mouvement si commun aujourd’hui ? Ignace Semmelweis (1818-1865), un obstétricien hongrois, cinquante ans avant Pasteur, a sauvé par ce simple geste, des milliers de vie de femmes enceintes. Ou encore d’où viennent les mots : « Il faut le consentement libre et éclairé du malade » ? Ils sont si évidents que personne ne les conteste, ni ne devine leur provenance dramatique. Pourtant, ils constituent l’article 1er des dix commandements devant régir toute expérimentation humaine, délivrés par le Tribunal de Nuremberg en 1947, lors du procès des médecins nazis. Qui connaît cela ne l’oublie plus jamais et s’applique à ce que cela soit parfaitement respecté au cours de son exercice médical.
De plus, si l’étude de l’histoire de l’odontologie permet de mieux connaître notre profession, elle contribue aussi à mieux connaître la maladie et à en dresser un portrait-robot, au cours des siècles. Si, un instant, nous considérons la carie notamment, mieux l’appréhender, c’est donc pouvoir mieux lutter contre. Ainsi, Urbain Hémard (1548 ( ?)-1592), chirurgien du cardinal Georges d'Armagnac, ambassadeur de François Ier à Venise, dans son livre « Recherche de la vraye anatomie des dents », considéré comme le premier ouvrage en France sur les dents, paru en 1582, à Lyon, nous dit déjà : « Que l’on soit soucieux d’empêcher que la viande (…) ne s’aigrisse point dans l’estomac. Qu’on se garde de vomir, tant qu’il sera possible éviter de manger choses gluantes (…) comme sucre, dragées, miel cuit, fromage rousti & autres viandes y compris les porreaux, le laict et les poissons salés. Nettier après le repas les dents de toutes saletez et ordures qui en mangeant s’attachent aux dents et gencives. » Par conséquent, la carie, son étiologie et sa prévention étaient déjà connues au XVIème siècle.
Pour beaucoup, l’histoire de l’art dentaire n’est rien ou quantité négligeable. Ils se trompent. En fait, elle est tout, parce que partout autour de nous, dans chaque protocole, chaque procédé employé pour soigner. L’ignorer, c’est, me semble-t-il, passer à côté de certains aspects de notre profession qui se révèlent fondamentaux. Auguste Comte (1798-1857), père de la sociologie en France, n’a-t-il pas raison quand il affirme avec conviction : « On ne connaît véritablement une science que si on en connaît l’histoire » ?



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