Par
Xavier Riaud
Dans toutes religions et depuis la nuit des temps, il existe des croyances particulières. Ainsi, de tous temps, les saints chrétiens ont été priés. Face aux maladies, des vertus curatrices leur ont été prêtées s’ils étaient priés avec insistance par les croyants. Ainsi, contre le scorbut, saint Antoine et saint Firmin sont sollicités. Contre les maladies de la langue, sainte Catherine est appelée. Contre les maux de dents, saint Christophe, saint Engelmond, saint Blaise, saint Dalmace, saint Rigobert, saint Crescence, saint Dizié, saint Médard, saint Nicolas, saint Céran, saint Roch et sainte Apolline sont fréquemment consultés . Mais, les prières se tournent aussi vers sainte Anne, saint Antoine, sainte Christine, saint Gildas, saint Gilles, saint Joseph, saint Laurent, saint Maur, saint Maurice, sainte Rategonde, saint Simon, saint Thomas, saint Tugen. Si Apolline est devenue plus tard la sainte patronne des dentistes et de ceux qui ont mal aux dents, il semble qu’à cette époque, la ferveur des prières relatives aux douleurs dentaires se soit tournée davantage vers saint Christophe. Les sujets de Philippe II Auguste (1165-1223) avaient déjà adopté ces croyances. Mais, ces pratiques sont aussi rencontrées pour des reliques de saints.
Quelques saints…
Saint Maur (512-584) fêté le 15 janvier
Maur naît dans une illustre famille romaine. Il est confié à Saint Benoît pour parfaire son éducation. Tous deux ont évangélisé la région du Mont-Cassin. A Languidic, ville du Morbihan, il est prié pour la guérison des affections buccales et plus particulièrement du muguet développé chez les nouveaux-nés et les vieillards déficients. La fontaine Saint-Maur y aurait des vertus curatives contre ce mal .
Sainte Apolline ( ? – 249) fêtée le 9 février
Apolline, sainte patronne des dentistes et des malades souffrant des dents, a vécu et est morte à Alexandrie. Elle est née d’une famille de hauts et riches dignitaires. Elle est toujours vierge et pure lorsqu’elle est torturée lors de la septième persécution d’Alexandrie en 249 après J.C. Sur ordre de Decius, empereur romain impitoyable, ses bourreaux l’ont frappé au visage avec un bâton, puis lui ont fait sauter les dents avec un marteau et un ciseau. Ils ont allumé un bûcher et ils ont menacé de la brûler vive si elle n’abjurait pas sa foi en Jésus Christ. Pour toute réponse, elle s’est jetée dans le brasier . La légende veut qu’elle aurait prononcé une prière à Jésus, alors que ses mâchoires étaient détruites. « Que tous ceux qui feront mémoire avec dévotion de l’intensité de la douleur que j’éprouve ne ressentent jamais ni douleurs de dents, ni douleurs de tête. » Un ange lui serait apparu pour lui signifier que sa prière était exaucée .
En Normandie, un culte lui est voué lors de la pousse des dents chez les nourrissons. Dans la Manche, à Sainte-Eugienne, des épingles sont piquées dans les jambes et sur la jupe de la statue de la sainte qui porte à son bras gauche un chapelet de molaires . A Pontmain en Mayenne, les pèlerins piquent leurs épingles sur les joues de la statue à l’endroit précis de la douleur qu’ils ressentent.
A Agneaux, dans le canton de Saint Lô, un texte de prière est utilisé et la statue est régulièrement touchée par les enfants. Dans le Calvados, à Notre-Dame-de-Livaye, une Sainte Marguerite est priée comme une Apolline. Les mères qui présentent leurs enfants, laissent les bavoirs dans les bras de la statue. A Ablon, près de Honfleur, les mères prient, mettent un cierge, font célébrer des messes et déposent un linge ayant touché le bébé. C’est la même chose à Canapville, dans le canton de Pont-L’Evêque. Dans l’Orne, à Couvains, les mères prient devant la statue et déposent des vêtements de l’enfant.
Dans l’Eure, au hameau du Plessis, les mamans prient et accrochent des rubans de la couleur de la layette du petit aux poignets de la sainte en témoignage de leur considération ou de leur espoir. Même dévotion à La Saussaye. Dans la Seine-Maritime, à Saint-Mards, la sainte est représentée avec une pince sur laquelle sont déposés des rubans avant que d’allumer un cierge. A Ouville-la-Rivière, la croix d’Apolline est recouverte de rubans multicolores, autant de traces de reconnaissances maternelles. La même générosité est retrouvée sur la Sainte Apolline décapitée d’Aubermesnil-Beaumais et à Quièvrecourt.
Sculpture de sainte Apolline .
En Bretagne, elle est invoquée pour la guérison des maux de dents et particulièrement lors de la pousse douloureuse des premières dents chez le nourrisson. Dans les Côtes-d’Armor, à Loudéac, son culte est toujours vivace. A Merdrignac, il en est également ainsi. C’est le cas aussi de Plouguenast, dans l’église Saint-Pierre. A Trémorel, dans la chapelle des Treize-Chênes, sa statue est fleurit et des rubans de couleur la recouvrent. Des cierges y sont brûlés. Dans le Finistère, la statue de la cathédrale de Saint-Pol-de-Léon est souvent appelée à l’aide. En Ille-et-Vilaine, à l’église d’Amanlis, à Chauvigné, son culte est très vivant. Il en est de même à Landavran, près de Vitré . En Loire-Atlantique, à Couffé, Apolline est invoquée dans la chapelle de Saint-Symphorien, ainsi qu’à Saint-Père-en-Retz où sa statue datant du XVIIIème siècle, reçoit des fleurs et des prières. Cette statue en bois est parfois touchée du doigt par les petits. Dans le Morbihan, à Lanouée, la sainte est exposée dans le prieuré de Pomeleuc, dit chapelle Saint-Mélec. A Languidic, dans la chapelle Notre-Dame-des-Grâces, les ouailles la prient pour leurs problèmes dentaires. A Pontivy, le martyr de la sainte est représenté par un groupe en pierre polychrome du XVIème siècle qui est disposé dans la chapelle Notre-Dame-de-la-Houssaye. Le soulagement des maux de dents y est fréquemment demandé. A Quéven, elle semble délaissée. A Saint-Gérand, dans la chapelle de Saint-Drédeno, la sainte y est éclairé par les cierges. A Tréffléan, sa statue est située dans l’église, rue Sainte Apolline. Une fontaine existe toujours où qui veut peut se rincer les dents.
La jusquiame (latin : dentaria), ou herbe de sainte Apolline, voit sa graine utilisée contre le mal de dent. A la période médiévale, pour lutter contre la douleur dentaire, sa racine peut être cuite dans du vinaigre jusqu’à la réduction des 2/3, ceci afin d’en faire un gargarisme, le tout agrémenté de morelle et de mûrier . Pour soulager une douleur dentaire, il était conseillé de placer la jusquiame dans un petit creuset en cire, puis de chausser la dent de cette cire de façon à ce que la plante soit directement en contact avec la dent. Enfin, toujours à la même période, pour calmer les douleurs des dents, il convenait de broyer grossièrement cette herbe et de la serrer entre les dents .
La gaufre dure de sainte Apolline, bénie par les curés, soulage les rages de dents. Réciter 5 Pater et 5 Ave Maria, 1 signe de croix sur la joue, avec le doigt, en face du mal ressenti guérissent le malade en Champagne-Ardenne. Des prières à la sainte sont faites en France, mais aussi en Italie, Espagne, Belgique et aux Antilles. De nombreux rites subsistent accompagnées de prières dévotes à la sainte, comme tourner en cloche-pied autour d’un arbre, planter un clou dans la statue ou encore pratiquer le jeûne , etc.
Saint Bieuzy (VIème siècle)
Disciple de saint Gildas de Rhuys, il s’est construit un ermitage sur les bords du Blavet . Il a eu un jour à choisir entre guérir la meute des chiens de son seigneur atteinte de rage et ne pas célébrer la liturgie pour son peuple, ou bien célébrer ce service religieux et ne pas répondre aux injonctions du seigneur brutal qui le demandait. Il a préféré ses fidèles aux chiens, ce pourquoi il a été tué d'un coup d'épée par le seigneur breton.
Dans le Morbihan, à Bieuzy-les-Eaux, l’eau de la fontaine Saint-Bieuzy aurait le pouvoir de guérir les maux de dents .
Saint Gildas (fin 5ème siècle-570) fêté le 29 janvier
Il naît en Bretagne insulaire. A 25 ans, il accède au sacerdoce en pays de Galles. Il se rend en Ecosse, puis en Irlande. Il décide de partir pour l’Armorique et s’établit sur l’île de Houat. Sa sainteté est très vite reconnue et il reçoit un terrain à Rhuys. Il y construit un monastère où il demeure pendant dix ans. Désirant vivre dans la solitude, il part s’installer dans une grotte près du Blavet avec son ami Bieuzy. C’est là qu’il est intervenu en faveur de Tréphine que son mari, roi de l’Armorique du Nord, avait décapitée. Gildas lui rend la vie. Il finit ses jours sur l’île de Houat .
A Saint-Gildas-de-Rhuys, il est prié pour le soulagement des souffrances dentaires. Des invocations similaires sont effectuées à Magoar, dans les Côtes d’Armor, où se trouve une fontaine Saint-Gildas, et à Saint-Maudan, près de Loudéac. Dans le Finistère, à Cast, le saint est requis dans la chapelle contre les rages de dents. Les pèlerins se rendaient autrefois à la fontaine. Aujourd’hui, cette dernière ne présente plus les garanties sanitaires suffisantes.
Saint Maurice ( ? - 287) fêté le 22 septembre ou le 5 octobre
Maurice et ses compagnons ont été martyrs à Agaune. Il est devenu depuis Saint Maurice du Valais . Dès que Maximien est devenu empereur d'Occident (286), il a décidé d'y exterminer les chrétiens. Pour cela, il a fait venir de Thèbes en Egypte, la légion qui s'y trouvait cantonnée. Il n'aurait pu tomber plus mal. Les six mille soldats qui la composaient étaient chrétiens. Ils ont logiquement refusé d'exécuter les ordres impériaux. Sur quoi ils ont été massacrés jusqu'au dernier. Telle est du moins la légende de la Légion thébaine. Ce qui est vrai sans doute, c'est que le décurion Maurice et plusieurs légionnaires ont refusé catégoriquement de prendre part à une cérémonie païenne, ce qui les a condamnés . Ce saint ne semble être sollicité qu’à Calorguen, près de Dinan, dans les Côtes-d’Armor. Au village de La Haute-Roussais, se dressent deux croix de granit appelées croix de Saint Maurice. La petite est percée dans son socle, d’un petit trou. Elle aurait le pouvoir d’apaiser les douleurs dentaires. Pour cela, les malades doivent aller à l’église Saint-Hubert, enlever leurs chaussures et marcher pieds nus jusqu’à la petite croix, ce qui représente environ deux kilomètres. Arrivés là, ils doivent déposer une pièce dans le trou du socle de la croix.
Saint Tugen (VIème siècle) fêté le 26 janvier
Tugen est devenu moine et a succédé à Saint Jaoua comme recteur de Brasparts, avant d’être choisi pour être l’abbé du monastère de Daoulas .
La légende veut que Tugen, n’ayant pu empêcher sa sœur dont il avait la garde de rencontrer son amant, se soit indigner contre les femmes. Il se serait exclamé : « Il vaut mieux commander une bande de chien enragés que garder une seule femme. » Ainsi, est né son don de préserver autrui des chiens atteints de la rage et le caractère hautement symbolique de la clé de Saint-Tugen. Ce saint adoré depuis des siècles a vu sa faculté s’étendre à toutes les formes de rage : rage de dents, rage de colère…Une chapelle lui est dédiée à Primelin dans le Finistère, au village de Saint-Tugen, ainsi qu’une fontaine. Un véritable culte est voué à ce saint breton selon des rites très précis. Ainsi, en cas de rage de dents, il convient de placer une clé de Saint-Tugen sous son oreiller et de poser la joue du bon côté. Des « pains de clé » (pains sans levain) sont bénis. Dès que les premières douleurs sérieuses apparaissent, il suffit de manger de ce pain pour les apaiser. A Cast, près de Châteaulin, ce saint est invoqué fréquemment pour calmer les maux dentaires.
La pierre de la chapelle de Fondelienne
A Carentoir, près de La Gacilly en Ille-et-Vilaine, au hameau de Fondelienne, la chapelle Notre-Dame-des Vertus possède une pierre tendre en schiste ardoisier. Placée dans une saillie dans le mur, elle est à un mètre cinquante du sol. Cette pierre a la propriété de guérir des maux de dents. Il suffirait de mordre dedans .
Des reliques…
La légende de saint Rieul
Premier évêque de Senlis, il est réputé pour ses miracles. Son ministère dure 40 ans à parcourir les forêts avoisinantes et à accomplir toutes sortes de faits prodigieux. Il décède le 30 mars 260. Clovis (465-511) lui fait bâtir une église qui prend son nom . A cette occasion, l’évêque Levangius lui aurait remis une dent prise dans la bouche de saint Rieul. Clovis n’aurait pas pu la conserver et aurait été contraint de la remettre dans sa sépulture .
Le sang de la dent de saint Grat
Grat est un saint évêque d’Aoste dans la région de Nice, né au VIIIème siècle. Saint agraire, protecteur des cultures contre les intempéries et les animaux nuisibles, il est aussi responsable de la translation de la tête de saint Jean-Baptiste. Bonne de Bourbon, mère d’Amédée VII, vouait un culte sans limite à l’évêque valdôtain. Venue consulter ses reliques à Aoste, elle demande à emmener l’une d’entre elles. Il lui est remis une dent. A peine, a-t-elle quitté les lieux que cette dent se met à saigner abondamment. Aussitôt après, une tempête d’une force exceptionnelle se déclenche et contraint la comtesse de Savoie de retourner à Aoste pour restituer le saint organe dentaire .
Pérégrinations dentaires
En 1205, Beaudouin, empereur de Constantinople, a vendu à Philippe-Auguste (1165-1223), des reliques religieuses dont une dent de saint Philippe qui a été remise à l’Abbaye de Saint-Denis. (…) Le jeune Charlemagne (747-814) disposait-il d’une dent de saint Jean- Baptiste dans le pommeau de son épée. La Chanson de Roland affirme que Durandal, le glaive de ce chevalier contenait dans son pommeau, une dent de Saint Pierre. (…) Dans un inventaire en date du 4 mai 1792, il est inscrit qu’une dent de lait de Jésus-Christ serait conservée dans un reliquaire de la chapelle du château de Vincennes. De même, une dent d’enfance de la Vierge serait signalée enchâssée dans un tableau dit de saint Sébastien .
Saint Géraud d’Aurillac
Saint Géraud d’Aurillac (855-909), fondateur de l’abbaye d’Aurillac, avait en sa possession une collection de reliques. Il s’était notamment procuré une dent de saint Martial. Cette dent, personne n’était parvenu à l’extraire de la mâchoire du saint. Géraud, après une courte prière, l’a extraite tout de suite. Par la suite, il l’a placée sur la droite de son autel .
Une dent éprise de justice
Evêque de Myre en Lycie, saint Nicolas (270-345) est le saint patron des Lorrains, des Fribourgeois et des Russes. Il est à l’origine du personnage du Père Noël. Il est l’auteur de nombreux miracles . A Heisterbach, dans le diocèse de Cologne, se trouve une de ses dents. Des moines la portaient dans les villages pour attraper l’argent des fidèles. Ils se moquaient ensuite de leurs dupes. La sainte dent s’est trouvée très sensible à ces profanations et par un grand miracle, le cristal qui contenait la relique est tombé et a cassé de sorte que plus personne n’a osé se promener avec elle, épargnant ainsi les pauvres gens .
Une dent lumineuse
Saint Quentin est un romain chrétien qui a été martyrisé à Augusta, ville construite à un endroit correspondant à un gué sur la Somme. Saint-Quentin est un important monastère qui prend le nom du saint durant l’époque médiévale et plus tard, une ville qui croît grâce aux pèlerinages qui se font sur la sainte tombe . Saint-Quentin, existe un reliquaire avec une grosse dent tirée du chef de saint Quentin (IIIème siècle) par Eloi, évêque de Noyon en 641. A l’avulsion, la mâchoire a jeté un sang frais et vermeil, et la dent s’est répandue en une grande clarté. L’église a été toute illuminée bien que l’action se soit déroulée au milieu de la nuit. La légende veut que toute la ville ait été éclairée .
Saint Domnin, guérisseur de la rage
Ancien soldat de Maximilien, il est décapité par celui-ci en 304. Prenant sa tête sous son bras, il aurait franchi le torrent Stirone. A Bergame, la rage est soignée en buvant du vin béni dans un calice dont le pied renferme une dent de saint Domnin de Fidencia .
Les vipères de saint Amable
Saint Amable était un prêtre de Riom en Auvergne, du Vème siècle. A la fin de sa vie, l’homme d’église n’avait plus qu’une dent qu’il gardait pour la ville de Riom. Cet organe dentaire protège contre les piqûres de serpent. Lorsque pareil événement survenait, la cérémonie se faisait au son de l’église pour dire aux paroissiens de venir. Quelques prières étaient prononcées et la dent était appliquée sur la morsure qui guérissait instantanément .
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